Il existe plusieurs documents relatant l’historique de la BTT, usine dont
le destin fut étroitement lié avec celui de Thaon. Citons par exemple :
« La Blanchisserie et Teinturerie de Thaon 1872-1914 » par Claude
Ferry paru aux Presses universitaires à Nancy en 1992.
«La Blanchisserie et Teinturerie de Thaon » dans l’Illustration
Economique et Financière paru en 1926.
Pour ma part je retiendrai le très bon résumé de Michel Bureau prononcé en
1972 à la Rotonde de Thaon-les-Vosges.
HISTOIRE DE LA B.T.T.
D’après l’allocution
prononcée le 1er Juillet 1972 par M. Michel Bureau à 1'occasion du centenaire
de la Blanchisserie et Teinturerie de Thaon.
1871... Est-il besoin de le rappeler? C'est le
désastre. Le traité de Francfort met fin à une guerre calamiteuse. Outre ses
nombreux morts, la France perd 1'Alsace et une partie de la Lorraine, sans
compter les très lourdes charges financières que la défaite nous oblige à
supporter.
Le Traité de Francfort contraint les Alsaciens et les
Lorrains qui veulent rester Français à abandonner leur pays avant octobre
1872. C’est ce que font de très nombreux habitants de ces provinces
montrant une fois de plus leur attachement et leur courage.
Sur le plan économique et sur celui de
1'ennoblissement textile en particulier, la France perd ses usines de Mulhouse,
Wesserling et Rothau qui représentaient alors une partie très importante de sa
production. Dans le domaine du coton, il ne lui reste plus que les
installations de blanchiment de Senones et de Gisors et quelques teintureries à
Rouen et près de Paris.
Dans l’épreuve, pourtant des hommes courageux et
lucides se manifestent. En décembre 1871, M. Jules Favre, un des associés de la
Maison Charles Laederich Fils et Cie forme le projet de constituer une société
anonyme, la « Blanchisserie et Teinturerie de Thaon ». Pourquoi un tel projet à
Thaon, sur le versant des Vosges resté français ?
Nous l’avons vu, la perte de 1'Alsace affaiblit
considérablement les capacités de production françaises. De plus, la nouvelle
frontière élève une lourde barrière douanière entre les tisseurs vosgiens et
les façonniers alsaciens. Investir dans une France vaincue représentait des
risques. C'est un des mérites des fondateurs de notre usine d'avoir eu ce
courage. Ils croient aux capacités de redressement français, à 1'avenir d'un
empire colonial en expansion et surtout aux qualités humaines de leurs compatriotes.
L’avenir leur donnera raison avec éclat.
Choisir la France, très bien. Le patriotisme et
l’intérêt 1'exigent. Mais Thaon, pourquoi choisir Thaon, ce minuscule village
de 555 habitants? Presque tous des agriculteurs hormis la féculerie Claudel et
une fabrique de pâtes de bois appartenant à M. Yvan Koechlin.
Deux impératifs absolus commandant - est-il besoin de
le rappeler? -, l’implantation d'une usine de transformation textile : un
terrain plat non inondable, d’accès facile et de l’eau pure en abondance.
Thaon satisfait avec ses nombreux terrains disponibles en bordure de la Moselle
et de bonnes voies de communication. A propos du terrain, il est juste de
rappeler les travaux des frères Dutac qui entreprirent la canalisation du cours
de la Moselle entre 1840 et 1850, libérant ainsi 1000 hectares de prairies.
Le terrain, nous l’avons. L'eau de la Moselle
est excellente. Exempte de calcaire et de fer, elle convient parfaitement aux
opérations de blanchiment et de teinture.
Les communications sont bonnes par la route comme par
le rail. Le canal de l’Est n'est pas encore creusé mais son principe est déjà
retenu.
Pour réussir qu'avons-nous ? Le terrain, Peau, les
voies de communication. Il manque encore l’essentiel : les hommes et
surtout un homme qui coordonne l’action, qui insuffle l’enthousiasme, qui
développe l’entreprise.
Ce sera la grande chance de Thaon de le trouver.
Un Alsacien, né à Strasbourg en 1836, ingénieur de 1'Ecole Centrale, Armand
Lederlin, sera cet homme décisif.
Directeur général de la Blanchisserie, il fera montre
de qualités exceptionnelles : technicien hors pair et administrateur de grande
valeur. Un homme chez qui toutes les qualités humaines étaient portées au plus
haut. A ce propos, je citerai ce qu'écrivaient de lui en 1927 deux de ses
proches collaborateurs, MM. Hoffmann et Deboffe: « Figure plutôt sévère et d'un
caractère très ferme, sachant imposer l’autorité du chef, aussi rigoureux pour
lui-même que pour les autres, travailleur obstiné et infatigable, M. Armand
Lederlin était un de ces hommes chez qui la bienveillance, la philanthropie,
l’altruisme en un mot, semblent une seconde nature... Son parler franc et bref
était tempéré par un grand accent de bonté; son jugement était droit et sûr,
son travail méthodique et scientifique, son habileté de commerçant et
d'industriel, singulière. Il étudiait toutes les affaires avec un soin
méticuleux; il savait prendre les décisions nécessaires et efficaces et
chercher la solution de toutes les questions avec un esprit pratique et
lucide... »
De telles qualités humaines devaient trouver
d'ailleurs leur épanouissement et leur consécration dans la vie sociale : élu
maire de Thaon à partir de 1884, il fut également président du Conseil Général
des Vosges, et promu Commandeur de la Légion d’honneur.
Pour réussir dans son entreprise, Armand Lederlin doit
chercher des capitaux, du matériel et des hommes. Les avantages du site de
Thaon attirent vite les capitaux. Parmi les fondateurs, nous trouvons des
noms illustres de l’industrie textile : Gros Roman, Yvan Koechlin, Steinheil
Dieterlen, Christian Kiener, Jules Favre, Nicolas Geliot, Albert Esnault
-Pelterie et Michel Hartman.
Le matériel fort heureusement vient très vite : Gros
Roman de Wesserling fournit tous les éléments du blanchiment, Steinheil
Dieterlen, ceux de la teinture.
Le 10 janvier 1872, la Société Anonyme par actions «
Blanchisserie et Teinturerie de Thaon » est constituée. Le capital social est
de 3 500 000 F. Le président du premier Conseil d'Administration est M. Michel
Hartman, son vice-président, M. Jules Favre.
Deux directeurs, MM. Jacques Christophe Dieterlen et
Armand Lederlin sont également administrateurs. M. Dieterlen est chargé du
domaine commercial, M. Armand Lederlin, du technique et de l’industriel.
Notons au passage que cette séparation des secteurs d’activité était assez
neuve pour l’époque et, a bien des égards, audacieuse. En 1874, M. Dieterlen
démissionne; M. Lederlin reste seul directeur.
Les études d’installation et de construction de
1'usine sont confiés à un ingénieur de Mulhouse, M. Grosseteste en liaison avec
les directeurs et la Maison de Wesserling. Leur intervention sera
capitale pour assurer la mise en route et le développement de l’usine pendant
les vingt premières années.
C'est sur 1'aspect humain de son entreprise que M.
Armand Lederlin montra ses plus belles qualités.
Intégrer dans un village d'agriculteurs vosgiens, des
industriels et des ouvriers alsaciens n’était pas certes une entreprise
facile. Armand Lederlin va réussir cette intégration d'une manière
harmonieuse. Pour cela, il n'hésite pas à construire école, foyer, clinique et
même un abattoir pour faire vivre une population meurtrie et déracinée.
Les sermons dans les églises sont, par exemple, faits
tour à tour en français et en dialecte alsacien. M. Armand Lederlin sait
que 1'homme épanoui dans son milieu est plus heureux et que l’ensemble de la
communauté humaine en bénéficie.
La main-d’œuvre vient de Thaon, des villages voisins
et, bien-sûr, d'Alsace. N’est-il pas émouvant de voir les noms du premier livre
des entrées ? Vous trouvons dès 1'origine des noms que nous connaissons :
Holweck, Morel, Mura, Peter, Scheromm, Weber, Wild, Winkler. Autant de familles
qui font honneur à la ténacité et à la fidélité de ces pionniers.
Rapidement, des logements sont construits pour les
ouvriers alsaciens. Thaon développe aussi sa vocation agricole pour maintenir
cet équilibre des populations et pour alimenter les nouveaux venus. Toute une
communauté s'est ainsi regroupée, du pharmacien au boucher pour se lancer dans
la grande aventure. En 18 mois - vous entendez, 18 mois! - l’usine est
terminée. Cela laisse rêveur si 1'on tient compte des moyens techniques de
l’époque et des problèmes à résoudre. En septembre 1873, les premiers essais de
fabrication commencent.
Une première étape est franchie. L'usine démarre. M.
Armand Lederlin est directeur. Il est entouré de MM. Tschaen, Jules Dieterlen
et Diehl. Les difficultés ne disparaissent pas par un coup de baguette
magique pour autant. Les premières années, la production plafonne à un
niveau très inférieur aux provisions. Des goulots d’étranglement apparaissent.
Il faut les éliminer. Comment? En investissant. Pour trouver de l’argent, la
Société émet un nouvel emprunt. A cette même époque, elle transfert son siège
de la rue de la Gare, à Epinal, à Thaon.
Les bienfaits de ce redressement ne tardent pas à
apparaître. En 1875 la production repart, sans que les problèmes s’éliminent
pour autant. J'en veux pour preuve cette remarque extraite d'un rapport de la
direction : « Quoique grâce à cette production, le rendement soit relativement
satisfaisant, nous comptons bien dépasser ces chiffres, mais pour cela il est
urgent que 1'alimentation se régularise et s’équilibre, surtout pour la
teinturerie où nous sommes presque toujours encombrés de couleurs « fines » à
faire, tandis que le matériel qui fait les sortes ordinaires, c’est-à-dire
1'article courant de doublure, est souvent trop faiblement alimenté; s’il n'en
était pas ainsi, cet atelier dépasserait facilement 300 pièces par jour
». En dépit d'un nouveau crédit qui permet d’accroître encore la
production, le second exercice de 1874-75 sera encore déficitaire.
Un tournant pourtant, s'amorce. 1876 marque le début
des fabrications coloniales qui, nous le verrons plus tard, absorberont très
longtemps une part très importante de notre production.
Pour la première fois, en 1876, 1'exercice est
légèrement bénéficiaire. Les investissements se développent. Fin 1880, les
premiers éclairages électriques sont installés dans certains ateliers. Songez
que jusqu'alors on éclairait au gaz avec tous les inconvénients et tous les
risques que cela impliquait.
A l’extérieur, des événements décisifs
interviennent. La France développe son empire colonial. On se trouve, on
se trouvera très longtemps encore en économie de pénurie. La demande dépasse de
beaucoup les capacités de production. Les conditions externes du succès sont
réunies. Dès 1879, on procède à une première distribution de dividendes. La
Société reste fidèle à une rigoureuse politique d'amortissements pour investir
à nouveau, développer la qualité et le volume de ses fabrications. Elle
renforce ainsi son indépendance en remboursant, le plus vite possible, par
anticipation bien souvent, ses créanciers obligataires.
L'expansion se manifeste partout où la BTT peut
intervenir. Entre 1876 et 1886, la production passe de 1500 à 2500 hectomètres
par jour. En 1894, cette production atteint 3 800 hectomètres.
Parallèlement, la Société participe activement au
développement économique et social de la région. Elle subventionne la
construction d'un port sur le Canal de l’Est en 1882 et reçoit ainsi ses
premières péniches de houille sarroise. Un pont de pierre sur la Moselle
remplace 1'ancienne passerelle.
Armand Lederlin fut aussi un admirable précurseur dans
le domaine des œuvres sociales. Dès 1875, i1 crée une Société de secours
mutuels et de retraites, et une Caisse d’épargne pour les ouvriers. A la même
époque, on ouvre un hôpital dispensaire où les soins sont gratuits, et une
crèche. Parallèlement, sont créés la Société de gymnastique, des cours de
dessin, une société de tir, des sociétés musicales, une bibliothèque et même...
une société de pêcheurs à la ligne.
Armand Lederlin, maire de Thaon jusqu’à sa mort en
1919, eut la joie de revoir sa province redevenue française au cours d'un
émouvant pèlerinage à Strasbourg. L’année 1894 marque une nouvelle étape dans
la progression de la BTT. Le marché colonial s'ouvre et se développe. On vend surtout
des articles classiques de grande consommation faiblement élaborés et non
imprimés. La demande intérieure est forte aussi. L'ensemble de 1'industrie
cotonnière de 1'Est est en plein essor. Pour s'en convaincre, i1 suffit de
savoir que le nombre de ses broches de filature passe de 650 000 à 3 millions
entre 1880 et 1914. C'est 1'époque également de la production de la B TT
atteint son apogée avec 9000 hectomètres par jour.
Pour faire face à la demande, i1 a fallu créer de
nouveaux bâtiments, accroître la distribution d'eau, installer un réseau
intérieur de voies ferrées.
A la mort de Jules Dieterlen en 1901, Henri Lederlin
prend sa suite. De son coté, Paul Lederlin, précédemment directeur du
blanchiment, est nommé sous-directeur de l'usine.
En 1903, la filature et le tissage subissent un
ralentissement dû à la surproduction intérieure, à une certaine inorganisation
des ventes de ces professions et aussi à une hausse désordonnée du coton brut.
Il faut réagir, ne pas s'endormir sur ses lauriers.
Pour lutter contre le monopole défait des Etats-Unis,
un groupe d'industriels et de négociants cotonniers fonde 1'Association
Cotonnière Coloniale sous 1'impulsion de M. Albert Esnault-Pelterie. Ce
groupement doit permettre de planter du coton dans nos colonies africaines. La
BTT s’y inscrit comme membre fondateur.
La Société augmente son capital, elle achète des
usines à Gisors, Notre-Dame de Bondeville et Darnetal. Un « gentleman
agreement » sur la teinture est conclu avec les Etablissements Gillet &
Fils de Lyon, et Motte & Delescluses, de Roubaix.
En 1908, M. Paul Lederlin accède au Conseil
d’administration et devient président directeur général 1'année suivante à la
place de son père. A la veille de la première guerre mondiale, 1'usine occupe
3000 personnes. C'est une entreprise solide, prospère, en pleine progression.
Ne quittons pas cette première période sans parler de
M. Erwin Brandenberger, cet ingénieur chimiste de la B T T qui inventa la
Cellophane. En 1907, cherchant à donner un aspect brillant aux tissus de coton,
il eut l’idée de les recouvrir d'une mince pellicule de viscose. Ce fut un
échec dans le domaine des apprêts, mais la pellicule de cellulose était créée.
Cette feuille mince, brillante, souple et transparente devait devenir par la suite
un matériau d'emballage idéal et connaître le succès que 1'on sait sous le nom
de Cellophane. Le brevet fut cédé en 1912 au Comptoir des Textiles Artificiels
du Groupe Gillet. C'est encore une des fiertés de notre entreprise d'avoir vu
naître un produit qui a fait depuis le tour du monde.
Des souvenirs de BTT. Il y avait la porterie, là où quelquefois j'allais y retrouver ma maman.elle y travaillait à l'endroit appeler :la térée. De véritables expertes ces femmes du textile.elles étaient capables de reconnaître n'importe quel tissu. Du coton, du gersey, à peut près tous.oui
RépondreSupprimerSuis persuadé qu'à ce jour encore, la locomotive et son sifflet,reste ancré dans les mémoires.
RépondreSupprimerMais,l'un des souvenirs les plus impressionnant, était la dextérité de ces ouvrières.
La Couture,le tricot,et quelquefois la broderie. Était réalisé d'une rapidité la plus
Surprenante qui soit.
Évidemment cette usine possédait ces propres cheminées, de très hautes ampleurs qu'ils fallu détruire. Les motifs, ne sont guères à débattre. Mais la réalité de l'événement en reste tout de même un souvenir.
RépondreSupprimerBeaucoup de ces monuments, sont encore possibles à voir,du Nord au Sud et de l'est à l'ouest du pays.
Beau site . Je fais des recherches généalogiques sur ma famille . Plusieurs travaillaient à la BTT famille Clavelin . Je suis à la recherche de la cité Valentin . ET d'une Cousine Gisèle Clavelin dont la maman était photographe . Pourriez vous m'indiquer ou je peux m'adresser afin de trouver des renseignements . Cordialement . Merci pour ce travail magnifique ,ces tranches de vies partagées .
RépondreSupprimerBonjour, merci pour votre intérêt
RépondreSupprimerIl y avait pas mal de Clavelin à Thaon. Mais ils ont la plupart des lien de parenté. Je pense qu'il serait intéressant de fouiller l'arbre généalogique dont voici l'adresse d'une page "extensible"
https://gw.geneanet.org/dumondel?lang=fr&pz=maurice+leon&nz=dumondel&ocz=0&p=lucien+andre&n=clavelin
Bien à vous.
Bonsoir, ce bâtiment a-t-il était détruit depuis le temps ? Sinon, avez vous une adresse exacte où je pourrai le trouver ? Il semble magnifique, j'aimerai le voir de mes propres yeux.
RépondreSupprimerAutrement votre article est très intéressant, merci pour ce travail.
Cordialement, Lucas.
Bonjour,
RépondreSupprimerJe suis enseignante et souhaite utiliser un extrait de cette allocution dans le cadre d'une séquence sur "Thaon-les-Vosges" à la Belle Epoque.
Pouvez-vous me préciser qui était Michel Bureau ?
Je vous en remercie par avance,
Votre blog est très intéressant !
Cordialement,
Nastasia