Apprendre à monter à vélo
Comme presque partout, la bicyclette était le
seul moyen de locomotion pour les adultes du « village nègre ». Le
vélo solex commençait pourtant à faire son apparition, mais les familles
d’ouvriers de la BTT étaient de conditions relativement modestes. Les marchands
de cycles accordaient des crédits sans intérêt. On payait un vélo en trois ou
quatre fois, à la paye de la deuxième quinzaine.
Les « Peugeot » étaient achetés chez
Jordan, rue de la gare, les « Motobécane » chez Lemercier dans la
même rue.
Tous les hommes du quartier avaient adopté la
méthode acrobatique pour le démarrage. Le pied gauche sur la pédale de gauche
et du même coté, avec le pied droit sur le sol, ils propulsaient leur vélo,
qu’ils penchaient en contrepoids vers la droite, et d’un geste précis, la jambe
s’élevait en arrière, à l’horizontale, passait au-dessus de la selle et établissait
l’équilibre final. Le concert des pédaliers, bien en rythme, pouvait alors
commencer.
Les débutants, plaçaient leur vélo au bord du
trottoir, prenaient leur position assise, attendaient l’absence de tout
obstacle à cent mètres à la ronde et s’élançaient en zigzag sur toute la
largeur de la route.
Il n’était pas rare d’apprendre à « faire
du vélo » à dix-huit ou vingt ans et même au-delà. Cela donnait lieu à un
véritable spectacle au « village nègre ». Le grand débutant se
faisait prendre en charge, en haut de la rue Foch, tenu sous la selle, par des
spécialistes de la famille ou de simples voisins. On enfermait le Bijou, le
chien des Consigny, qui aurait tout fait rater et la première tentative pouvait
alors commencer. Il fallait arriver, seul, au minimum jusqu’au lavoir, pour
être considéré comme nouveau cycliste et ceci avec les commentaires de tous les
voisins qui considéraient l’événement comme une réussite sociale du quartier.
« ça y est Jojo, tu sais
faire du vélo ! » .
Pour nous, les plus jeunes, on sortait les
vélos de femme. Nous prenions notre position assise, dans le creux du cadre en
V et nous avancions, d’abord les deux pieds sur la route, puis un seul, puis
debout sur les deux pédales et nous roulions en danseuse, parfois de façon dangereuse,
tout autour du quartier, toujours prêts à freiner avec les pieds.
Naturellement, il y eut plus d’un valdingue*.
De nouvelles émotions commençaient.
J’embarquais la Mimi sur mon porte-bagages, Jacques prenait la Pépée, Roger sa
petite sœur et nous faisions le tour du « village nègre » autant de
fois que nous le pouvions. A la tombée de la nuit nous mettions en position les
dynamos. Chacun éclairait un petit bout de route et chaque lumière indiquait un
petit bout de bonheur.
Tous les ans, les vélos du « village
nègre » changeaient de couleur. La rénovation des bicyclettes faisait
partie des travaux de peinture du printemps. Et on ne lésinait pas sur la
marchandise. La couche prenait de l’épaisseur au fil des ans et il n’y avait pas
besoin d’antirouille.
Le « village nègre » en vélo était
fait de couleurs, mais aussi d’odeurs de graisse et d’huile, de bruits
grinçants et de ding dong plus ou moins mélodieux. Il y avait des guidons
droits, des guidons levés, des guidons retournés et même des guidons de course
comme celui du Bébert, qui causait* la grande sœur de ma copine.
Nous, les plus jeunes, nous savions qu’il
fallait attendre quelques années, la réussite au certificat d’études ou au
brevet élémentaire, pour avoir une bicyclette neuve.
« Le village nègre » livre 1
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