EXTRAIT DU LIVRE (TOME 2) |
En 1871, M. Jules Favre de la
" Maison Charles Laederich " a pour projet de constituer
une société anonyme, la " Blanchisserie et Teinturerie de
Thaon ". Pourquoi Thaon ?
Thaon possède un ensemble de terrains plats
non inondables, d’accès facile, au bord de la Moselle, dont l’eau est exempte
de calcaire et de fer, les communications par la route comme par le rail sont bonnes, de plus le
principe de la construction du canal de l’Est est déjà retenu.
Un Alsacien, Armand Lederlin, ingénieur de
l’Ecole Centrale, est l’homme de la situation.
Directeur général de la Blanchisserie, il
montre des qualités exceptionnelles en toute circonstance, mais c’est sur
l’aspect humain de son entreprise, qu’il fait l’unanimité.
Intégrer des industriels et ouvriers
alsaciens dans un village d’agriculteurs n’est pas chose facile. Armand
Lederlin réussit cette intégration en construisant école, foyer, clinique et
même un abattoir pour faire vivre une population meurtrie et déracinée après la
guerre de 1870.
La main d’œuvre vient de Thaon et des
environs mais aussi d’Alsace. Les noms des premiers pionniers sont encore dans
nos mémoires : les Holveck, Morel, Mura, Peter, Scherom, Weber, Wild,
Winkler.
Rapidement des logements sont construits.
En 1880, la France développe son empire
colonial. Les demandes dépassent alors de beaucoup les capacités de production.
C’est l’expansion.
Parallèlement à l’augmentation du nombre des
ouvriers (plus de 2000 à la fin du 19ème siècle), Armand Lederlin
devient un précurseur dans le domaine des œuvres sociales. Il crée une société
de secours mutuels et de retraites ainsi qu’une caisse d’épargne pour ses
ouvriers. Il ouvre un hôpital dispensaire où les soins sont gratuits et une
crèche. Il crée également une société de gymnastique, une société de tir, des
sociétés musicales et même une société de pécheurs à la ligne.
Les ouvriers affluent, les créations de
logements continuent.
Au sud-ouest de la commune, sur un plateau
coincé entre les collines de Chavelot, la forêt et la ligne de chemin de fer,
on construit à la hâte quelques maisons en bois, certaines sont badigeonnées de
goudron pour les rendre étanches. Le quartier est très vite appelé
" les baraques ", c’est un cul-de-sac, complètement
excentré, où l’on accède par une seule route à peine carrossable.
Les familles qui y habitent sont souvent des
cas sociaux, des familles à tuyaux-de-poêle*. On y joue facilement de la
serpette.
Ce quartier devient aux yeux de la population
thaonnaise une sorte de ghetto, d’autant plus que dès le début de la guerre
14-18, un régiment d’africains, la plupart Sénégalais, y cantonne.
" Les baraques "
deviennent alors le " village nègre "
Entre les deux guerres, le
" village " s’agrandit. Bien des familles, aujourd’hui
honorablement connues, participent à une meilleure réputation du quartier.
Pourtant à la seule évocation de son nom, le " village nègre "
reste, de façon non justifiée, un lieu malfamé, un coupe-gorge.
Après la deuxième guerre mondiale, la BTT,
devenue la Société Gillet-Thaon doit faire face à une économie française
écrasée. Partout les stocks sont épuisés. Le travail reprend rapidement. Le
" village nègre " va être entièrement rénové. C’est
l’entreprise Valsesia qui, entre 1946 et 1948, a la charge du gros œuvre et des
routes. La plupart des baraques sont détruites et laissent la place à trois
grandes cités entourées de petites maisons coquettes. De nouvelles familles les
occupent. Le quartier, que certains essayeront d’appeler le " Petit
Paris ", commence une deuxième vie. Ce sont les années 50, une
nouvelle enfance, notre enfance.
Le " village nègre "
devient à la fois un lieu, une époque. Quelle bénéfique coïncidence !
Lieu privilégié, sa situation l’abrite. Une
seule route et un chemin en crasse le relient aux autres quartiers de la ville.
On y est chez soi. Quiconque y entre est aussitôt épié, évalué, parfois admis.
Epoque privilégiée, la BTT a du travail pour
tous. C’est encore le baby-boom, les naissances sont nombreuses et le quartier
s’enrichit de sa jeunesse.
Le " village nègre "
subit les influences externes. La protection bienveillante de la BTT est
grande. Les traditions catholiques sont fortes. Si nécessaire, le " village
nègre " se retire, se resserre, se rassure. Les enfants occupent
la rue, la défendent, la prêtent, en font leur terrain d’aventure. Le
" village nègre " appartient aux enfants. On y
partage ses joies, ses peines, on cache avec difficulté ses envies, ses
jalousies. Ce sont les premiers romans de l’amitié. Les quartiers alentours
observent. On élabore des stratégies pour repousser les envieux et les
possibles rivaux au-delà des frontières. Cinq garçons et cinq filles du même âge
organisent leur communauté. Les relations dominent. Les émotions sont fortes.
Les conflits sont toujours de courte durée.
Au " village nègre "
on y dégote les cri-cri*, accroupiot* dans les genêts, on y voit le
" sépi* " vendre ses baûgeottes* et on y rencontre le
" bec de poule " des creuchottes* plein la poche :
A partir de 1954, l’empire colonial français
se désagrège. La perte de l’Indochine provoque une chute des ventes de 2000
hectomètres par jour. Avec l’indépendance du Maroc et de la Tunisie puis le
début de la guerre d’Algérie c’est le marché d’Afrique du Nord qui disparaît.
Les pays d’Afrique Noire restent les principaux clients, mais pour combien de
temps ?
Au " village nègre "
l’enfance fait place à l’adolescence.
Les corps grandissent. Les désirs se
précisent.
Le groupe est toujours soudé mais les chemins
divergent. Certains vont au collège, d’autres terminent leurs études primaires.
Le quartier s’ouvre à la ville et Thaon offre
au " village nègre " ses meilleures tranches de vie.
est ce que le lavoir rue Foch a été détruit ou réhabilité en habitation merci
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