La bonne année
......
Le départ était
toujours fixé à neuf heures moins le quart, de façon à arriver chez tante
Titine à la sonnerie de neuf heures. « La chenau » était un quartier
de la BTT situé du coté de la gare, à environ un kilomètre du « village
nègre ». Parmi tous les cousins et cousines qui entamaient en famille,
leur propre tournée, nous étions habituellement les premiers.
Tante Titine et nonon
Marcel n’étaient jamais étonnés de notre arrivée très matinale. Après le
traditionnel « bonne année, bonne santé -toi aussi mon
gamin ! », nous nous attablions devant un bol de café au lait et une
brioche, soumis les uns après les autres, à l’interrogatoire habituel :
« est-ce que tu travailles bien à l’école ? », la réponse était
toujours positive, il ne fallait surtout pas remettre en cause les pièces de
monnaie préparées de façon égalitaire dans les poches de la blouse de tante
Titine.
Chacun ayant reçu son
argent et ses friandises, nous prétextions la longue tournée familiale qu’il
nous restait à faire pour reprendre le chemin des étrennes.
Nous descendions la
rue Pasteur en marchant, malgré le verglas, sur les traverses irrégulières de
la voie ferrée reliant la gare SNCF à la BTT.
La deuxième étape
était située rue d’Alsace, chez tante Malou. De sa maison, on pouvait voir la
Rotonde, derrière le canal de l’Est. Nonon Gaston nous servait un sirop et nous
répondions toujours aussi poliment « …gentil …bien à l’école …oui, on est
plus grand que l’an dernier ». Parfois nous nous retrouvions avec des
cousins-cousines qui faisaient leur tournée dans le sens inverse, les
discussions étaient alors égayées et nous profitions d’un départ commun pour
prendre congé, non sans avoir reçu, de façon discrète, les pièces qui allaient
gonfler notre capital.
L’étape suivante
n’était pas très loin, toujours rue d’Alsace, à la limite de Chavelot, chez
tante Hélène et nonon Paul. Après le mot de passe « bonne année, bonne
santé » suivi en écho par un «surtout une bonne santé », nous nous
serrions, par manque de place, près de la fenêtre de la cuisine et pouvions
ainsi regarder le canal recouvert de glace, juste sur le côté de la Rotonde.
Sur le buffet, le litre de goutte* était prêt pour les plus grands. Tante
Hélène se plaisait à nous raconter la dernière histoire qu’elle avait eue avec
« la capitaine », sa vieille tante et voisine de palier. Nonon Paul,
assis devant un casse-croûte d’onze heures, opinait du chef pour préciser que
la vieille était dérangée. Un cornet* à la main, et quelques sous dans les
poches, nous quittions le petit appartement très discrètement de façon à éviter
la sortie de la « capitaine », qu’il aurait fallu embrasser en tant
que parent, même très lointain.
...
Extrait du "village nègre" livre 1
Extrait du "village nègre" livre 1
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