Les grandes vacances
Les vacances scolaires étaient fixées du 1er
juillet au 15 septembre.
Le dernier jour d’école était un peu
particulier. Le matin était consacré au nettoyage et au rangement. On
déqueugnait* toute la classe, on lavait les tables, les encriers de porcelaine
devaient être blancs avant de les ranger dans l’armoire à coté des porte-plumes
et des buvards « chicorée leroux ». Les plumes « la
gauloise » ou « sergent major » étaient triées, les béquées*
allaient à la poubelle. On avait le droit de rapporter définitivement les
cahiers du jour à la maison.
L’après-midi connaissait la récréation la plus
longue de toute l’année scolaire, même si les derniers temps, les maîtres et
les maîtresses avaient largement doublé le nombre de leurs allers- retours
selon une ligne droite toujours parfaite. Après un « au revoir »
moitié joyeux, moitié mélancolique au maître, la ruée vers les vacances était
ponctuée du traditionnel :
« Gai gai
l’écolier c’est demain les vacances
« Gai gai
l’écolier c’est demain que j’partirai
« J’irai
chez ma grand-mère
« Chercher
des pommes de terre
« Des pommes
de terre pourries
« Rognées
par les souris
« Gai gai
….. »
Au « village nègre », personne
n’allait chez sa grand-mère.
Chez nous, le premier jour était toujours
programmé : « t’as les cheveux qui rebiquent, t’iras au
coiffeur*, gamin, tu diras surtout bien court et dégagé sur les
oreilles ! »
Tout petit, c’était le Pélo Burel de la rue
Nicolas Leblanc, le papa d’Annie (encore une bonne-amie), qui rendait ce
service, il maniait la tondeuse mécanique aussi bien que le rabot de menuisier
à l’usine.
Un peu plus grand, maman m’envoyait à
Chavelot, chez le coiffeur habituel de
mon voisin Roger, certainement le moins cher de tout le secteur et qui ne
connaissait qu’une seule coupe : la brosse . Pour cela il fallait
rejoindre le haut du village par le début du chemin de crasse et la côte du
père Cossin, prendre à droite pour traverser tout le plateau et redescendre
vers le canal, derrière l’église. Le coiffeur devenait une véritable corvée,
surtout que pour revenir, il fallait couper à travers champs pour éviter les
éventuelles rencontres avec les « chavelot » qui s’étaient
soit-disant battus à coups de fronde avec les plus grands du village nègre,
Pampoine et compagnie, derrière le remblai* du lavoir.
Les journées du mois d’août étaient longues.
Je me retrouvais parfois tout seul dans le quartier et la différence d’âge avec
mes sœurs ne permettait que peu de jeux en commun.
Et quand je disais que je m’ennuyais, j’avais
droit toujours à la même réponse : « enlève ta chemise et danse
dessus ! ». Je n’ai jamais compris la signification de cette phrase
passe partout. J’aurais du essayer, peut-être que j’aurais eu la solution.
Dès la fin août, le quartier reprenait un peu
de vie, on offrait à sa copine du sent-bon*, qu’on avait acheté à la fête de
Thaon, chacun racontait ou inventait ses exploits de vacances, on dessinait à
nouveau de larges cercles pour des « je déclare la guerre »
interminables, « l’épervier » reprenait ses droits, le « palais
royal » permettait de nous conforter dans l’idée que rien n’avait changé,
les garçons faisaient plaisir aux filles en participant à la marelle, les
filles rendaient la pareille en jouant aux foot avec les garçons. Tout était
redevenu beau, trop beau même, car on remarquait déjà depuis quelques jours les
rassemblements d’hirondelles de plus en plus nombreuses sur les fils
électriques surplombant le quartier.
Fin août était aussi le temps des récoltes et
des conserves. Dans une ambiance par forcément réjouissante, j’aidais la
famille à la cueillette des petits pois et des haricots verts. Les baûgeottes
étaient longues à se remplir et une fois le travail accompli, commençait alors
la préparation des conserves. L’ancienne table de cuisine était installée dans
la cour, les vieux journaux étaient dépliés, les voisines parfois s’asseyaient
avec nous, chacun plongeait alors la main dans la baûgeotte pour retirer une
poignée de haricots encore chauds du soleil de l’après-midi. Pour éviter les
fils, on prenait soin de casser les extrémités vers l’intérieur et surtout couper
en deux les plus gros. « A partir de quelle longueur un haricot est
gros ? ». Il n’y avait jamais de réponse car le couarôge avait
commencé.
Ecosser les p’tits pois était un travail plus
délicat car en plus d’avoir des bons ongles, il fallait être habile pour ne pas
les faire trisser* partout.
Le lendemain les légumes devaient être mis en
conserve. Pour des raisons économiques on mettait les p’tits pois en
bouteilles. C’était alors tout un rituel. On s’installait sur la première
marche des escaliers et après un lavage énergique on posait la bouteille, entre
les jambes, sur un torchon ou une serpillière. La main gauche servant
d’entonnoir, les p’tits pois étaient pris au piège. La bouteille n’était jamais
remplie jusqu’au goulot car il fallait verser un peu d’eau. Toutes les trente
secondes on tapait le cul (de la bouteille) pour bien tasser l’ensemble. Des
bouchons spéciaux étaient maintenus par des fils de fer comme pour les
bouteilles de mousseux gagnées à la fête de Thaon. Maman était la seule habilitée
à mettre les conserves dans la lessiveuse qui était ensuite portée par les
hommes sur la cuisinière préchauffée au bois. On ajustait le tuyau central,
puis on versait de l’eau par cuvettes entières. Le couvercle était maintenu par
deux ou trois briques et par une ficelle nouée symboliquement aux
poignées : une véritable machine à eau chaude. La stérilisation pouvait
alors commencer.
Les conserves de nos propres légumes étaient
financièrement un grand avantage. Presque tout le monde au « village
nègre » procédait ainsi.
Extrait du livre 1
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